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Pour les larmes de mon père
Mon père pleurait
Mon père pleurait quand son usine a fermé
C'était désormais un numéro à l'agence des licenciés
A la cellule du reclassement des laissés sur le pavé
C'était le début des mauvaises années
Pour les ouvriers et les enfants d'ouvriers
Dans un pays qui disait avoir des idées
Pour remplacer le pétrole trop cher payé
Mon père pleurait quand son usine a fermé
Lui au chômage ? Il ne pouvait y penser
Avec encore des enfants à nourrir et à élever
Trop jeune encore pour se laisser aller
Et vivre avec de l'argent pas gagné
Lui au chômage ! Il ne pouvait s'y résigner
Tant d'années de labeur si mal récompensés
Travail posté, pas de dimanches et fours fériés
Jamais de vacances avec la maison à payer
Primes et participation en rêves envolés
Mon père pleurait quand son usine a fermé
Et les copains qu'on a du quitter
Malgré les serments qu'on n'allait pas s'oublier
C'est à l'enterrement de Marcel qu'ils se sont retrouvés
Pas tous, certains avaient déjà déménagé
Le profit n'avait que faire des larmes de mon père
Des prières du dimanche et des défilés de colère
Je n'ai pas pu me taire mais je n'ai rien pu faire
Pauvre Gavroche, on pleure toujours ta misère
C'est pas de la faute à Rousseau, pas de la faute à Voltaire
L'Internationale chantait encore l'union des prolétaires
Mon père pleurait
Mon père pleurait même qu'il a été reclassé
Dans une autre usine aux capitaux étrangers
Pas le choix c'était à prendre ou à laisser
Pas le temps de penser, il faut bien manger
Pertes de salaire, un mois d'essai
Courageux, les bras, il n'a pas baissé
Un soulagement on l'a gardé
C'était même pas par humanité
Au bas de l'échelle, il a du recommencer
Avec des jeunes, il fallait apprendre à règler
Pendant ces années, il se sentait humilié
Trop de chefs ! Pas souvent bien inspirés
Ressources humaines ? Vaut mieux pas en parler
Etre ouvrier même qualifié était mal payé
Une mention devenue honteuse à éviter sur un CV
Le profit n'avait que faire des larmes de mon père
Des motions, des pétitions, et des journaux de colère
Je n'ai rien pu faire je ne voulais toujours pas me taire
Pauvre Gavroche, on pleure toujours ta misère
C'est pas de la faute à Rousseau, pas de la faute à Voltaire
L'Internationale oubliait les paroles des prolétaires
Mon père pleurait
Mon père pleurait quand il a été préretraité
Avec une médaille qu'on recoit le jour du muguet
Il a repris un numéro à l'agence des licenciés
Les capitaux étrangers s'étaient évaporés
Délocaliser pour ne pas dire sacrifier
Mon père pleurait, la pendule n'était pas arrêtée
Les allées du jardin le voyaient toute la journée
Un jour sa moto rouge n'a plus démarré
Elle était connue dans toute la cité
Toujours à l'heure, hiver comme été
L'homme à la moto rouge venait de passer
Cette fois il n'a pas essayé de la réparer
Je ne sais pas si ce jour-là il a pleuré
Sa moto avait bien le droit de se reposer
Le profit n'avait que faire des larmes de mon père
Des dossiers, et des courriers en trois exemplaires
Je n'ai rien pu faire et la colère n'arrange pas les affaires
Pauvre Gavroche, on pleure toujours ta misère
C'est pas de la faute à Rousseau, pas de la faute à Voltaire
L'Internationale n'a plus osé le mot de prolétaires
Quelques années ont passé
De la retraite il n'a pas profité
Travailler il n'a jamais arrêté
Et puis une saleté en quelques mois l'a emporté
Sa vraie cause ne sera pas révélée
A quoi bon ? L'argent ne pouvait le remplacer
Le profit n'avait que faire de la douleur de ma mère
Et de l'absence d'un sourire depuis une nuit d'hiver
Pauvre Gavroche, tu tombes toujours par terre
C'est pas de la faute à Rousseau, pas de la faute à Voltaire
L'Internationale ne se chante plus dans un cimetière
Quand un ouvrier part trop tôt en terre
Je n'ai pas pu me taire
Il est impossible d'oublier les larmes d'un père
Mon père était ouvrier , mon père était prolétaire
Je ne viens pas me plaindre, on n'a pas connu la misère
Qu'il repose en paix, de lui je suis fier !
Pour le souvenir des larmes de mon père
Aujourd'hui je ferai cette prière
Sans prétention et sans colère
Toi, mon beau pays, le pays de mon père
Le pays de Hugo, de Zola, de Rousseau et de Voltaire
Toi qui veut être admiré de la terre entière
Vas-tu enfin écouter les amis de Coluche et l'abbé Pierre ?
Plus de pitié pour la misère !
© Gil DEF - 08.02.2005
Tags : histoire, larmes, souvenir, père
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Commentaires
2Lo AnDimanche 4 Novembre 2007 à 22:26les larmes de mon père
Bien des pères aimeraient avoir un tel hommage..fait avec bcp de tact.. Quel cri d'amour Quel cri .. pour notre société Quel cri...pour nos illusions Vos poèmes sont si différents les uns des autres de part leur sujet, mais quelle émotion à chaque fois..MerciLes larmes - R
Tania Je crois ne jamais pouvoir écrire assez la fierté que j'ai de mon père qui nous a quittés bien trop tôt ... Merci de cette lecture. Amitiés. GilLes larmes ... - R
Lo An Je suis touché de ce long commentaire ... J'aime évidemment traité de tout ce qui parle de la vie surtout de la vie des plus humbles, de tous ceux que les sociétés oublient et laissent dans la difficulté et de plus en plus dans la misère ... Merci de cette lecture. Amitiés. Gilmi jé brai
Gil, je ne sais pas comment vous dire l'émotion qui m'a traversé quand j'ai lu ce texte. Mon père était ouvrier aussi et il est parti d'où l'on ne revient pas. je suis musicien (voir mon site www.brunetti.org/nino) , j'ai une mélodie qui m'est venue mais votre texte est tellement actuel et tellement proche de tant de gens que j'ai connus que bah j'avoue à 54ans, je pleure. si vous êtes fier de lui, et bien il doit être très fier de vous, et qui sait dans ce grand tunnel qu'on traverse tous un jour, et bien une moto rouge vous y attendra, j'en suis certain. merci NinoMi jé brai - R
Nino Votre visite m'a touché. Je ne peux que vous dire qu'un homme qui n'a plus de larmes a perdu son âme ... Vraiment touché de vos commentaires ... Merci encore de votre sensibilité poétique et humaine ... Au plaisir de croiser encore vos mots et vos chansons. Amitiés. Gilj'en ai fait une chanson
Bjr, Gil merci pour ce que tu m'as écrit, j'ai fait une chanson sur ton texte, comment puis-je te l'envoyer j'ai pas ton mail tu as le miens. Merci amitiés NinoJ'en ai fait - R
Nino Je te renouvelle du fond du coeur mes remerciements par ta chanson sur le texte des "larmes de mon père " si important pour moi . A bientôt l'ami. Gil
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Une grande souffrance et un bel hommage à votre père... Vraiment touchant. Amitiés